Le Prix scientifique suisse Marcel Benoist 2023 est attribué à Ted Turlings, biologiste à l’Université de Neuchâtel. Ses travaux ont élucidé des phénomènes biologiques complexes et ont eu un impact mondial dans les sciences de l’environnement. Ils ont ouvert de nouvelles pistes en agriculture durable dans le cadre de la lutte biologique contre les ravageurs, sans usage de pesticides. Le biologiste a poursuivi des approches très novatrices et contribué de manière essentielle à la compréhension du rôle joué par les signaux chimiques dans la communication entre les différentes espèces – ce qu’on appelle l’écologie chimique.
Lorsque les plantes communiquent par les odeurs
Les recherches de Ted Turlings se sont développées autour de la découverte fondamentale qu’il a faite en 1990: les plantes peuvent se défendre contre les insectes nuisibles qui les attaquent en produisant des composés volatiles – des odeurs – qui vont attirer les prédateurs de ces ravageurs. C’est une substance présente dans la salive du nuisible qui déclenche chez la plante la production des molécules odorifères.
Les travaux de son équipe vont de la recherche fondamentale à la recherche appliquée. Ils ont ouvert des nouvelles possibilités pour utiliser moins de pesticides dans les champs en se basant sur les prédateurs naturels des ravageurs, une approche appelée «lutte biologique». Il s’agit d’un élément crucial pour une agriculture durable qui inclut la protection contre les insectes nuisibles, ces derniers détruisant jusqu’à quarante pourcents des récoltes au niveau mondial.
Par exemple, détecter la présence d’odeurs défensives émises par les plantes lors d’une attaque de ravageurs permettrait d’alerter les responsables d’une exploitation agricole avant l’apparition de dégâts visibles sur la culture, et ainsi de cibler davantage l’utilisation de produits phytosanitaires. Les recherches de Ted Turlings s’intéressent également à la sélection de variétés de plantes qui produisent davantage de composés odorifères attirant les insectes bénéfiques ou repoussant les ravageurs. Une autre piste serait de synthétiser les molécules odorifères des plantes afin d’attirer les prédateurs des espèces nuisibles avant que celles-ci n’aient eu le temps d’endommager les cultures. L’équipe de Ted Turlings poursuit de telles approches au sein de collaborations avec des instituts de recherches agricoles et des organisations non-gouvernementales, à l’instar du Centre for Agricultural Bioscience International (CABI).
«Ce prix est un grand honneur, confie Ted Turlings. C’est une reconnaissance pour les travaux menés pendant des années avec des collègues extrêmement compétents, ainsi que pour le type de recherches que nous menons. Notre système actuel de production de nourriture contribue de manière importante au changement climatique et aux problèmes environnementaux. Nous avons les moyens de faire mieux, et la science a un rôle important à jouer.»
Comment les plantes attirent les insectes pour se défendre
Les travaux de Ted Turlings ont permis d’élucider en détail les mécanismes prenant place lorsqu’une chenille mange une feuille de maïs. Un composé présent dans la salive de l’insecte, baptisé volicitine, fait réagir des récepteurs situés sur la feuille. Ceux-ci déclenchent la production par la plante de molécules volatiles: des composés aromatiques et des terpénoïdes. Celles-ci attirent des guêpes qui viennent injecter leurs œufs dans le corps des chenilles. Les larves des guêpes finissent par dévorer les ravageurs de l’intérieur. En fin de compte, la plante aura pu se protéger en appelant au secours un ennemi de son ennemi.
«Je suis enchanté de voir Ted Turlings récompensé, une grande personnalité de la recherche en biologie, commente Didier Queloz, président de la Fondation Marcel Benoist. Ses recherches fondamentales ont mené à des résultats spectaculaires ayant le potentiel d’un impact profond pour la société et pour l’agriculture durable en particulier.»
Le Prix scientifique suisse Marcel Benoist sera remis à Ted Turlings le 30 octobre 2023 à Berne lors d’une cérémonie commune organisée avec le Prix scientifique suisse Latsis.
Cérémonie commune de remise des prix Marcel Benoist et Latsis
Les deux plus importantes récompenses scientifiques de Suisse – le Prix Marcel Benoist et le Prix Latsis – Les deux plus importantes récompenses scientifiques de Suisse – le Prix Marcel Benoist et le Prix Latsis – seront remises lors d’une cérémonie commune le 30 octobre 2023. Elle prendra place à l’Hôtel du gouvernement de Berne, en présence du Conseiller fédéral Guy Parmelin et des présidents des fondations Marcel Benoist et Latsis, Didier Queloz et Yves Flückiger.
Le lauréat 2023: Ted Turlings
Originaire des Pays-Bas, Ted Turlings a débuté sa carrière scientifique aux Etats-Unis, notamment à l’Université de Floride et au Département de l’agriculture des Etats-Unis. Il travaille en Suisse depuis 1993, d’abord à l’ETH Zurich puis dès 1996 à l’Université de Neuchâtel. Il a dirigé pendant quatre ans le Pôle de recherche national «Plant Survival – Survie des plantes en milieux naturels et agricoles», qui s’est déroulé entre 2001 et 2013 avec un budget de 74 millions de francs, et dirige depuis 2014 le Centre de compétence en écologie chimique à l’Université de Neuchâtel. Il a reçu le prix Delwart des Royal Academies for Science and the Arts of Belgium en 2008, le Silverstein-Simeone-Award de la Société internationale d’écologie chimique en 2015 et le Distinguished Scientist Award de l’Entomological Society of America en 2022. En 2023, il est nommé président de la Société internationale d’écologie chimique.
Sources d’information sur les recherches de Ted Turlings
- “Natural pest control: Plants enlist their enemies’ enemies”, by Tim Vernimmen, Knowable Magazine (2023) ↗
- “Tritrophic Interactions Mediated by Herbivore-Induced Plant Volatiles: Mechanisms, Ecological Relevance, and Application Potential”, T.C.J. Turlings and M. Erb, Annual Review of Entomology (2018) 63, 433 (open access) ↗
- “The Role of Herbivore-induced Plant Volatiles in Trophic Interactions: The Swiss Connection”, T.C.J. Turlings and T. Degen, Chimia (2022) 76, 900 (open access) ↗
- “Exploitation of herbivore-induced plant odors by host-seeking parasitic wasps”, T.C.J. Turlings, J.H. Tumlinson, W.J. Lewis, Science (1990) 250, 1251 (paywall) ↗